The original text in French follows this one
Interview with Sister IsaBelle Couillard of the Congregation of the Sisters of Charity of Montreal (the Grey Nuns).
How did you hear the call to become a “Grey Nun”?
I remember one evening when I was 18. I was in the middle of a crisis of faith, sitting on my bed, talking to Him I no longer believed in. Because how could the God of love, whom I had been taught to pray to and to trust in, how could He allow millions of people to starve to death during the famine in Ethiopia? how could He leave my friend to suffer at the hands of her abusive father? And in the depths of my indignation, I heard God’s call: “Come, I need your hands and, above all, your heart to help change the world. I need everyone to hear within themselves my special call. And then my Kingdom will come.” And so the seeds of a vocation were sown!
What was it about your foundress’s charism that fascinated you?
St. Marguerite d’Youville never backed down, whether in front of civil or ecclesiastical authorities, from defending those who had been left behind. In her official letters, always written in a tone that was respectful yet firm, she refuted accusations and reminded the authorities of the commitments they had made to her respecting the vulnerable people she had welcomed into her home.
Today, with the encyclical Fratelli Tutti, we are called by Pope Francis not to shirk the responsibilities spelled out in the Gospel and not to turn a blind eye to inequality and systematic abuses committed against the weakest among us. He invites us to be women and men who really reach out, going where the ground is sometimes shifting, sometimes disheartening… To live through it, we turn to prayer “from heart to Heart,” upheld and supported by the fraternal support of our community.
Throughout your life as a consecrated person, how have you incorporated the charism of your foundress?
Over the years, I have accompanied citizens in finding social housing, in receiving alternative mental health treatment, in establishing spaces for discussing environmental issues. I have worked to obtain freedom for a political refugee and to help reunite her with her family. In order to strike an emotional balance with these demanding activities, I am involved in the Ruche d’art Yéléma, an intergenerational, intercultural and inclusive organization promoting human encounters and the repurposing of used materials through creative activities. With regard to the Church, I lead a small Bible fellowship group, and I am involved in the renewal of Saint-Bonaventure parish in Montreal.
Presently, I am very active in CATHII, the Quebec-based action committee combating domestic and international human trafficking, which was founded by several religious communities in Montreal. Through our advocacy work, we urge the Quebec government to adopt a provincial action plan on behalf of victims and survivors and to support research on a worldwide scale to empower the survivors of human trafficking.
We could have been tempted, in the context of the current pandemic, to slacken our efforts, but that would be to abandon those who have been subject to trafficking and are deeply affected by COVID-19 and the impact on them of the many health measures that have been imposed to counter it. These people remain practically invisible – despite their presence right here in our city – in their capacity as domestic help and migrant agricultural workers, as victims of sexual exploitation, forced marriage, etc.
During an audience with the Network of European Nuns against Trafficking and Exploitation, Pope Francis said: “One of the most troubling of those open wounds is the trade in human beings, a modern form of slavery, which violates the God-given dignity of so many of our brothers and sisters and constitutes a true crime against humanity. While much has been accomplished in acknowledging its gravity and extent, much more needs to be done on the level of raising public consciousness and effecting a better coordination of efforts by governments, the judiciary, law enforcement officials and social workers”.[i]
Forty years later, following God’s initial call rooted in my “outrage” at injustice, here is my modest contribution – with God grace – to breaking down the chains of injustice, untie the cords of the yoke and to set the oppressed free (Isaiah 58:5).
IsaBelle Couillard, SGM
Source : https://www.diocesemontreal.org/en/news-and-info/latest-news/can-consecrated-life-help-change-world
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La vie consacrée peut-elle contribuer à changer le monde?
Interview avec Sr IsaBelle Couillard, de la Congrégation des Sœurs de la Charité de Montréal (Sœurs grises).
Comment avez-vous entendu l’appel à devenir une « sœur grise? »
Je me rappelle un soir de mes 18 ans, en pleine crise de foi, assise sur mon lit, je parlais à Celui en qui je ne croyais plus. Effectivement comment le Dieu d’amour dont on m’avait enseigné à prier avec confiance, laissait des millions de personnes mourir de faim lors de la famine en Éthiopie, comment laissait-il mon amie souffrir avec son père qui l’abusait? Du fond de mon indignation, j’ai entendu l’appel de Dieu : « Viens, j’ai justement besoin de tes mains et surtout de ton cœur pour contribuer à changer le monde, j’ai besoin que chaque personne écoute en elle mon appel unique et ainsi mon Royaume arrivera ». Et voilà les graines d’une vocation semées !
Qu’est-ce qui vous a fasciné dans le charisme de votre fondatrice ?
Devant les autorités civiles et ecclésiales, sainte Marguerite d’Youville n’a jamais reculé afin de prendre la défense des laissés-pour-compte. Par des lettres officielles, faites d’un ton respectueux, mais décisif, elle réfuse des accusations et rappelle aux autorités leurs engagements pris, devant elle, envers les personnes vulnérables accueillies dans sa demeure.
Aujourd’hui avec l’encyclique Fratelli Tutti, le Pape François nous appelle à ne pas fuir les responsabilités de l’Évangile, ni détourner les yeux des inégalités et des abus systématiques envers les plus faibles. Il nous invite à être des femmes et des hommes de la rencontre vraie, où le terrain peut être parfois mouvant et abject… Pour le vivre, nous nous tournons vers la prière « du cœur à Cœur » et nous nous appuyons sur le soutien fraternel de notre communauté.
Comment, le long de votre vie de personne consacrée, avez-vous incarné le charisme de votre fondatrice?
À travers les années, j’ai accompagné des citoyens pour l’obtention du logement social, des alternatives en santé mentale, des lieux de partage au niveau de l’environnement… J’ai travaillé à libérer une refugiée politique et la réunir avec sa famille. Pour balancer mes engagements prenant émotionnellement, je suis à la Ruche d’Art Yéléma : un réseau intergénérationnel, interculturel et inclusif qui favorise les rencontres humaines et la réutilisation de matériaux par le biais d’activités créatives. Au niveau de l’église, je facilite une petite fraternité biblique et je suis impliquée dans le renouveau de ma paroisse St-Bonaventure à Montréal.
Présentement je suis très active au Comité d’action contre la traite humaine interne et internationale (CATHII) fondé par plusieurs communautés religieuses de Montréal. Nous travaillons sur un plaidoyer auprès du gouvernement du Québec afin qu’il mette en place un plan d’action provincial pour les victimes et les survivantes, ainsi que sur une recherche à retombée mondiale sur l’autonomisation des survivantes de la traite.
Dans Fratelli Tutti, le Pape François nous appelle nous aussi à contribuer à la transformation du monde par la fraternité, travaillant à la conversion de nos institutions vers une « charité sociale et politique ». Les religieuses et laïques de CATHII désirent faire leur petite part. Pour soutenir les victimes et survivantes de la traite, un nouveau concept est promu, celui de l’autonomisation (empowerment). Peu documenté, le CATHII a donc pris l’initiative de commencer une recherche mondiale afin de mieux documenter les expériences terrain, les bonnes pratiques, les défis, afin de transmettre aux organismes qui reçoivent des victimes, des ressources répertoriées et analysées.
Lors d’une audience avec le Réseau des religieuses européennes contre la traite et l’exploitation, le pape François a qualifié la traite d’êtres humains de « crime contre l’humanité ». Il a affirmé : « alors que beaucoup a été fait pour connaître la gravité et l’ampleur du phénomène, il reste encore beaucoup à faire pour élever le niveau de sensibilisation du public et établir une meilleure coordination des efforts déployés par les gouvernements, les autorités judiciaires et législatives et les travailleurs sociaux ».
En temps de pandémie, il aurait été tentant de relâcher nos actions, mais pouvons-nous abandonner les personnes trafiquées grandement affectées par la Covid et les conséquences de certaines mesures sanitaires? Elles sont quasiment invisibles dans nos médias, alors qu’elles vivent ici même dans notre ville : aide domestique, travailleurs migrants agricoles, exploitation sexuelle, le mariage forcé, etc.
Quarante ans plus tard, suite à l’appel initial de Dieu enraciné dans mon « indignation » face à l’injustice, voici ma modeste contribution – avec l’aide de Dieu – pour faire tomber les chaînes injustes, délier les liens de la servitude et rendre la liberté aux opprimés (Isaïe 58:5).
IsaBelle Couillard, s.g.m.
Article paru : https://www.diocesemontreal.org/fr/actualites/nouvelles/vie-consacree-peut-elle-contribuer-changer-monde